jeudi 8 janvier 2009

Ce soir-là, il ne mourrait pas… Pierre Sève

Le texte suivant a été écrit en atelier avec la consigne d'imaginer un personnage à partir de sa façon de marcher.


Il était maintenant obligé de progresser sans faire le moindre bruit… chacun de ses pas devait dans la quasi pénombre être calculé au plus juste comme au ralenti pour ne pas trahir sa présence dans cet immense entrepôt qui lui avait paru si vide mais qui se révélait en un vaste labyrinthe encombré de rebuts divers et surprenants comme autant de pièges maintenant qu’il avait à fuir… il faisait tout ce qu’il pouvait pour calmer sa respiration comme si la maîtrise enfin atteinte à la perfection de celle-ci pouvait lui permettre d’accéder à une apesanteur salvatrice…

Ils étaient trois, trois à essayer de le localiser afin de faire taire définitivement ce qu’il avait pu voir, ce qu’il n’aurait pas dû voir, ce massacre à coups de manches de pioche dont il savait déjà que le bruit à la fois mat et spongieux des chocs le hanterait encore longtemps s’il parvenait à sortir d’ici indemne… à gauche, une ombre bougea, à quelques mètres se découpant sur le fond de lueur lointaine des projecteurs du stade voisin à travers les grands rectangles de verre armé… on aurai cru un film, comme un drame à quelques jets de pierre du match qui se déroulait là, tout près, couvert sporadiquement par les hurlements en fanfare des supporters survoltés. L’ombre s’étant éloignée un peu il retint son souffle et enjamba métaphoriquement le rai de lumière qui courait tout le long de l’allée centrale qui servait d’axe à sa fuite… et il se reçut accroupi et immobile, essaya de voir à travers la nuit… rien que le silence paradoxal de ce lieu dangereux comme isolé des rumeurs du matin si proche… il décida de changer et s’avança dehors comme l’aurait fait un chat la proie dans la gueule pour rejoindre son espace familier, à marche feutrée sauf que c’était lui la proie et il avait vu ce que ces trois brutes avaient fait… un bruit encore sur sa gauche… il s’immobilisa courbé en flexion… ses mains presque au sol tâtonnaient ce que son pied venait de heurter… ses doigts lurent fébrilement la forme tubulaire d’un de ces tuyaux de cuivre en plomb qu’il était juste venu chercher en repérage avant qu’il ne tombe sur cette boucherie… un autre bruit… tout près cette fois, légèrement sur sa gauche… il pivota sur lui-même tenant fermement son arme de fortune et il vit enfin à travers la nuit… deux des trois brutes étaient là à quelques mètres progressant en crabe, respirant bruyamment et puis d’un coup elles s’arrêtèrent : “ bordel ! Qu’est-ce que vous foutez, bande de connards… faut qu’on s’tire Jojo elle est bien rétamée sa gueule. On est venu là pour ça et rien d’autre… n’ parlera plus cette enflure !…”
- Et l’autre, qu’est-ce qu’on en fait ?
- Mais il a peut-être tout vu…
- (au fond à droite) Laissons tomber… on trouve rien… il a dû se barrer…
- Bon… on y va… c’est toi le chef Péd…
- Pas de nom imbécile ! Ramenez-vous… on laisse bomber, on se casse… toi Duchenoc, si t’est encore là, si tu manges le morceau à quiconque, c’que t’as vu, c’est qu’une berceuse à côté de c’que tu recevras.

La sueur le mouilla instantanément. Ses mains commencèrent à trembler et il s’affaissa comme un sac vide là où il s’était décidé à en finir. Les bruits de leurs pas disparurent. Un moteur de voiture se fit entendre, les portières claquèrent et tout ce cauchemar disparut avec elles dans la nuit. Ce soir, il ne mourrait pas.
©Pierre Sève

Métaphore intime

Je suis un peu la métaphore d’une pomme de pin à la fois ouverte à tous vents et soigneusement refermée sur soi à la base, à la rumeur sourde d’où émergent jour après jour de multiples formes prenant peu à peu ou non signification… de même que les graines s’échappent quand l’air est chaud et sec, de même les mots ont jailli pendant des années de ma bouche à la lumière d’un tableau de classe sur lequel, le cours terminé, on ne déchiffrait au maximum que quelques mots en flèches ayant illustré la magie du savoir à l’œuvre à travers une parole captivée par son devoir. L’appui de cette magie était le silence demeuré compact sur ses bases sans jamais de plan préconçu autre celui que pas un seul, de ces heures, n’en réchapperait intact. La structure est une énigme et doit le demeurer mais elle seule est là, forme captive de tout ce qu’elle aura laissé échapper.
©Pierre Sève