mardi 12 août 2008

J’ai entendu les cris des Camisards, par Charlotte Léo


Les textes suivants ont été écrits par Charlotte Léo pendant la balade écriture du 4 août 2008, sur le sentier de la Roquette, à Molezon (48). Ils répondent à la suggestion d'écriture concernant le point de vue.
©fredcan

Moi, Julien d’Arnal, je sais, moi j’ai vu, j’ai entendu les cris des Camisards, les hurlements de haine, les coups de fusil. Ce jour-là, j’étais parti dans la forêt sachant que ma sœur devait quitter notre château pour s’en aller marier, je voulais lui faire en cadeau un beau lapin tout chaud avant de lui dire adieu, j’avais dix ans. Depuis la forêt, j’ai entendu des cris et puis au loin il y avait une fumée noire qui s’échappait du château. J’ai couru, couru, presque arrivé à la fontaine, je me suis caché dans un arbre et par le trou j’ai vu deux hommes tout noirs, là, moi, j’ai vu, par le trou ma sœur Thérèse allongée au pied de la fontaine, un homme en noir lui tranchait la gorge pendant que l’autre lui tenait les jambes, j’avais peur, tout mon corps tremblait. Là j’ai vu ma sœur morte, son corps pâle dans une mare de sang noir et Pierre, le garçon de la ferme qui dormait à ses côtés, que faisait-il là ? Moi j’ai vu, mais le silence m’a emporté.

+++++++++++++++++++++++++++++++++++++

Depuis ce jour, moi Thérèse d’Arnal, j’ai quatorze ans à jamais. Belle, fraîche, assise sur ma mule qui m’emporte vers une nouvelle vie. Mon cher Père m’a obligée à quitter le château pour retrouver mon futur époux que je ne connais pas. Nous sommes en pleine guerre ici en Cévennes et mon père craint à tout moment une attaque des Camisards, voilà la réelle raison de mon départ précipité. Sachant que rien ne pourra empêcher mon mariage, je pleure, j’aime Pierre et jamais je n’aimerai cet inconnu. J’avais dit à Pierre de me rejoindre à la fontaine ; en arrivant, Pierre était là, inanimé, la tête plongée dans l’eau, une frayeur m’envahit, Pierre…
Je sentis mon corps partir en arrière, entraîné par des griffes puissantes. Deux hommes hurlaient en arrachant mes vêtements, mes cris étaient sourds, et puis avec une violence bestiale, ils me traînèrent par les cheveux jusqu’à la fontaine. J’essayai de m’agripper au corps de Pierre qui ne pouvait plus m’aider, mais son corps mou tomba à mes côtés. Je vois une lame briller dans mon dernier rayon de soleil, une douce chaleur m’envahit, les cris s’éloignent, mes yeux deviennent noirs, Pierre est à mes côtés, j’ai mis ma main dans la sienne.

Aucun commentaire: