mardi 12 août 2008

Si c'est pas dommage, par Marthe Janssen


Les deux textes suivants sont restitués tels que rédigés en atelier, durant une demi-heure environ. Ils répondent à la troisième suggestion d’écriture (travail de point de vue) proposée lors de l’atelier du 4 août, à La Roquette, Molezon (48).
©delphineR2M

Si c’est pas dommage, une belle jeune fille comme ça, si jolie, si jolie. Oh mais là, elle était pas bien belle à regarder !
Ça faisait quelques jours que les événements s’étaient passés. Personne n’osait sortir, vous pensez bien ! Entre les camisards qu’on disait assoiffés de sang, et les gens d’armes qui tiraient sur tout ce qui avait deux jambes, il faisait pas bon mettre le nez dehors ! Moi, au bout d’une semaine, j’en pouvais plus de rester terré avec la Jeanne. Et puis je voulais manger autre chose que des châtaignes ! Faut dire qu’y a pas meilleur que moi pour ce qui est de poser des pièges et je pensais à tout ce beau gibier qui devait pourrir, ça me fendait le cœur. Alors au bout d’une semaine donc, je suis passé outre les protestations de ma femme, j’ai pris ma biasse et je suis sorti. Je suis remonté le long du vallon, j’étais pas bien rassuré mais j’avais faim, voyez-vous, et ça, ça donne des ailes comme qui dirait.
En contrebas du château, j’avais mes premiers pièges à relever, j’y courais presque ! Et là, j’ai pas bien compris d’abord ce que je voyais : dans les châtaigniers, sur les pierres, dans les bouscas, des taches blanches, je distinguais pas bien et puis j’ai vu ! C’étaient des chemises, des culottes, des caracos, des mouchoirs suspendus, déchirés mais reconnaissables quand même. On aurait dit que les arbres s’étaient habillés pour la circonstance.
Alors je l’ai vue, tournée face contre terre, elle était tombée juste à côté d’un collet, un lièvre y était pris. Du coup, ça faisait deux victimes qui avaient l’air de se parler dans la mort, elle, Thérèse qu’elle s’appelait, et le lièvre qui avait pas de nom.
Pour ce qui est du lièvre, je sais m’y prendre avec les collets, et pour sûr qu’il avait pas eu le temps de souffrir, clac d’un coup, en se débattant il était mort. Mais elle pour sûr, elle a dû se débattre aussi, mais elle est sans doute pas morte d’un coup : pensez donc, tomber sur une demi-douzaine de furieux, de la haine plein le cœur et les mains. Pauvre petite…
Il paraît qu’elle s’ensauvait pour rejoindre son promis plus bas dans la vallée, elle avait emproté son trousseau dans un baluchon. Son trousseau ! Des années à broder, et tout ça pour un fiancé qui ne la prendra jamais dans ses bras.

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Je ne veux plus dormir, plus jamais ! Chaque fois que je m’endors depuis cette nuit maudite, je revois tout en rêve, tous les détails et ses yeux et ses cris ! Non, non, je ne veux plus jamais dormir.
Je veux bien raconter une dernière fois, mais c’est pour m’en débarrasser et puis comme ça, vous saurez. Ce soir c’est décidé, je vais mourir, tout est dans la grotte derrière chez moi, la corde, le nœud, le tabouret. Moi je sers au château, ma famille est pas bien riche, alors ça fera une bouche de moins à nourrir. Mais ces messieurs-dames sont catholiques et pour servir chez eux, l’a fallu que j’abjure la mienne de foi. Mais quand on a faim…
Quand ils sont arrivés, les Camisards, ils ont mis le feu et pourchassé tout le monde à coups de fourches et de faux, et puis y’en a un qui m’a reconnu. « C’est le petit du Villaret » qu’il a dit. « Cest un des nôtres, pas vrai, petit ? ». Oui, j’ai dit oui, bien sûr que j’ai dit oui ! Et que les Darnal c’étaient des salauds ! C’était pas tant vrai, un peu hautains mais pas tant méchants. Enfin, il valait mieux que ce soit eux que moi, je pensais. Alors j’ai crié avec les autres, moi aussi, j’ai frappé avec une serpette qu’on m’avait mise en main.
Quand tout brûlait et que toute la maisonnée a été massacrée, on est parti, moi avec les autres, les pierres de la cour étaient toutes rougies comme quand c’est les mûres et qu’elles éclatent par terre, des tâches rouges, mais c’était du sang.
On a pris le sentier, on marchait en silence, comme si toute cette sauvagerie nous avait assommés. Et pouis le grand Sauveterre qu’a des yeux de rapace, il l’a vue, je sais pas comment parce qu’il faisait déjà bien sombre, à croire qu’il l’a sentie. La pauvre petite, elle se terrait dans un tronc creux, son baluchon serré dans ses bras.
Et là, la sauvagerie les a repris, à croire qu’ils en avaient de reste. Ils l’ont sortie de son tronc, lui ont arraché son ballot et toute sa lingerie est tombée au sol ; tous ses fins tissus qu’elle avait brodés pendant des heures, tout son linge, c’était pire que si elle avait été nue ! Et eux, ça les a excités… Et pis… et pis… non je peux pas dire… le pire c’était ses yeux, elle ne regardait que moi, son petit paysan, comme elle m’appelait. Elle avait toujours été gentille avec moi et moi je ne pouvais rien faire, ils m’auraient massacré comme ils avaient failli le faire déjà au château. J’ai regardé et j’ai rien fait et maintenant tout ça est dans ma tête et ça prend toute la place et je ne pourrai plus jamais dormir, plus jamais.

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