mercredi 13 février 2008

Quatorze heures/Festival Nature


Par Hélène Barathieu

La rivière n’a pas d’odeur. Ou plutôt cette eau n’en a pas . Elle est pure fraîcheur, comme les glaçons qu’on sort du freezer les après-midis d’été.
Au bord de l’eau, de tout près, on sent, dans les petites cascades, quelques gouttelettes éclaboussées et l’odeur de la mousse verte qui recouvre les rochers. Dans cette mousse d’un vert vif, poilue comme une épaisse moquette, se cachent les parfums terreux des champignons cueillis le dimanche en famille, et triés le soir, au couteau, pour enlever la terre et les feuilles. Je retrouve le goût des cèpes fondant en bouche avec suavité.
La mousse a la même odeur un peu écœurante que la lame de l’opinel de mon grand-père. Quand il me coupait une tranche de pain, l’endroit où la lame avait attaqué la dure croûte de la miche gardait toujours un arrière-goût de métal rouillé.
L’odeur de la mousse tout près de la cascade est sale et masculine. J’y vois les légumes terreux que mon père rapportait fièrement du jardin. Suivait l’odeur de l’économe pas commode, ce couteau compliqué dont je peinais à me servir. La peau des pommes de terre passait entre les deux lames. Apparaissait alors la chair blanche, que je lavais pour aider ma mère. La mousse près de la cascade renferme cela aussi : l’odeur de la terre et de la fécule blanche.
Sur les rochers, à la lisière de l’eau, je vois une couleur orangée, la même couleur de rouille que sur les vieux opinels ou les vieux économes, sans doute à cause du fer que contient cette eau.

C’est aussi cette odeur âcre de la mousse que je sentais dans mon sang, quand, enfant, je saignais du nez, en été. On me faisait pencher la tête en arrière, et le sang cascadait dans ma gorge. J’étais obligée d’avaler pour ne pas étouffer, et le goût restait longtemps dans ma bouche.

Je n’aime pas l’odeur de la mousse près des cascades.

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