mercredi 26 août 2009

Le savon de Marseille, Elia

Emergeant d’un ciel encombré de nuages moites, le soleil frissonne dans la fraîcheur du linge. Les yeux fermés au cheminement de mes souvenirs d’enfance, une douce quiétude m’enveloppe… les images affleurent, imprégnées de la chaleur suintant de la terre où flotte la senteur humide du savon de Marseille.
L’allée pierreuse menant à la ferme – basse, blanche – les palmiers, les cactus géants… La Reghaïa sous un ciel bleu électrique. Et toi.
Cette odeur de savon, cette senteur propre, c’est toi.
Toi, dans ta robe noire et ton éternel tablier de servante. Les cheveux poivrés, tirés en arrière, serrés en chignon à la descente de la nuque.
Cette senteur de lavandière, perlant sur chaque ridule de ton visage, sur tes bras fatigués, ton corps lourd en mouvance permanente, c’est toi. Toi que je respirais en me blottissant dans tes bras.
Toi qui apaisais tous mes chagrins, m’emplissais de sérénité et faisais battre mon cœur à la cadence de la pendule où s’égrenaient les heures.
De toi, il me reste l’essence vive de tes yeux et cette odeur suave, douloureusement tendre.
J’entends ta voix rauque me chuchotant : « C’est la vie, mon enfant, c’est la vie. »
Tu reprenais ton labeur quotidien, ton pauvre dos courbé à lessiver le sol, les mains fripées, usées par l’eau et pourtant si douces. Il te fallait encore étendre les draps bouillis, nettoyer le poulailler, donner à manger aux bêtes, préparer les repas… tout en fouillant du regard – à longueur de journée – la course lente du soleil à la limite de l’horizon, au-dessus du chemin de fer, au devant des vignes où il travaillait.
Cet homme, ce mari qui parlait peu.
Il faisait chaud, si chaud et pourtant tu sentais toujours le savon.
L’odeur du savon, au fil des heures, se paraît d’arômes variés : feu de cheminée, plats mijotés aux fragrances de thym et de laurier, poivrons grillés des cocas, mounas sucrées dans le parfum entêtant des magnolias…
Le soir était mon moment préféré, pimenté par l’acidité de la citronnelle des draps quand tu me bordais. Je m’endormais paisiblement en respirant cette odeur qui flottait derrière toi. Elle restait près de moi, veillait sur moi toute la nuit.
Cette odeur qui m’habite, encore aujourd’hui, ce berceau d’amour et de sécurité, c’est toi.
Toi, ma grand-mère.

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