mercredi 26 août 2009

Tout allait bien, Hélène Barathieu



Photo : Demarcet/Pinard

« Je me souviens que ce jour-là, le 28 juillet 1702, je m’étais levée très tôt, pour cueillir des haricots. Avec les fortes chaleurs qui avaient succédé aux orages de la semaine d’avant, tout avait poussé d’un coup. Dans la matinée, j’ai préparé le repas pour Madame et ses trois enfants : Pierre, Jacques, et la petite Thérèse, et pour le frère de Madame, monsieur de Greize, qui était de passage au château. Je me souviens qu’ils ont mangé avec grand appétit, même la charcuterie, malgré le soleil, et la petite m’a complimentée pour mes légumes. Tout allait bien, tout le monde était heureux de la visite imprévue de l’oncle, et du mariage de Thérèse qui approchait.
L’après-midi, ils ont évoqué les psaumes pour la cérémonie. Monsieur de Greize a fredonné un bel Ave Maria. En voulant l’applaudir, Jacques a renversé un petit bouquet de marguerites et tout le monde a ri de sa maladresse. Thérèse affichait son beau sourire de Demoiselle, on voyait qu’elle était heureuse.
Cette petite que j’avais choyée depuis ses premiers mois, je l’aimais comme un de mes enfants, mais je n’ai jamais osé le lui dire. Nous n’étions pas du même monde. Pourtant, quand j’ai senti de la fumée la nuit du massacre, j’ai tout de suite compris que ma vie ne serait plus jamais la même et que moi aussi j’allais être détruite.
Je ne sais pas qui a fait ça. Madame était bonne, mais elle n’avait pas que des amis. Rapport à la religion et aussi à son argent. La Devèze, c’était un beau château, vous savez. Il faisait des envieux. La famille d’Arnal allait conclure, grâce au mariage de Thérèse, une alliance qui n’était pas pour arranger les affaires de tout le monde. Je ne crois pas que les assassins voulaient seulement récupérer des armes et des prisonniers. Je crois que parmi les fanatiques, certains ont supprimé les d’Arnal, les de Greize, et leurs partisans, pour mieux dominer toute la région. Mais je ne peux rien dire… »


« Quand on est arrivé, un chien a aboyé, mais d’un coup de couteau, j’ai su le faire taire. Je l’ai jeté dans les ronces.
Au château de la Devèze, cette nuit-là, tout était calme, mais on savait qu’ils étaient nombreux. La vieille, ses trois enfants, plus son frère qui était venu les voir. Hugues était certain que les armes se trouvaient dans la cave et que l’entrée du souterrain était camouflée par des fagots de genêts. Il y était entré la veille, pour livrer du vin. Pendant qu’il y descendait, je suis allé délivrer les prisonniers, avec Antoine.
C’est pas humain d’avoir fait ça. Nos amis croupissaient depuis la saint Jean dans une soue, avec deux cochons. Nourris d’épluchures. Florette en haillons, Auguste et Jean méconnaissables à cause de la barbe et des cheveux qui avaient poussé. Je les ai serrés dans mes bras, je pleurais, j’étais révolté.
Ensuite, on a rejoint Hugues dans la cave. Il n’avait pas trouvé les armes, il s’énervait. Esprit Séguier en voulait à monsieur de Grèze, qui avait dû changer de cache. Mais la cave était pleine de victuailles à cause du mariage de Thérèse prévu quelques jours après. Quand ils ont vu tout ça, les prisonniers sont devenus complètement calucs. Ils se sont jetés sur les saucissons, les fromages, les barriques de vin… Avec Hugues, on essayait de les calmer, mais ils se bâfraient comme des bêtes affamées. On a dû les tirer de force vers la sortie, et c’est en passant près de la grande entrée qu’on a senti une odeur de brûlé.


Il paraît que c’est l’Antoine qui a mis le feu au château. Mais on n’en sera jamais sûr. Hugues pense qu’il aimait la belle Thérèse, en secret. Quand Esprit avait parlé devant lui de son mariage qui approchait, il s’était décomposé. En plus, Antoine détestait depuis toujours le fils du seigneur de la Vallée Haute. Cette douleur secrète, nos amis humiliés, maltraités, les armes introuvables… Il a voulu leur faire payer tout ça, et il a sorti son amadou… Après, on est allé jusqu’au bout, parce qu’il fallait en finir une fois pour toutes avec cette sale guerre. »



Ces deux textes ont été écrits pendant la balade écriture du 8 août, sur la terrasse du château de la Devèze, chez Danielle et Lionel Demarcet.

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